Vendredi 21 Novembre, j’arrive dans le Carré Belle-Feuille et je ne sais plus exactement quel est le programme de cette soirée du Manhattan festival BBMix édition 2014. Je suis venu essentiellement pour voir cheap disulfiram Faust, et à la lecture de mon billet je me rappelle soudainement qu’il y a La Morte Young, groupe souvent aperçu sur Merzbow Derek, le blog défunt de Philippe Robert. L’ancien batteur de This Heat, Charles Hayward, est aussi présent pour ouvrir la soirée et Ghédalia Tazartès sera là pour des vocalises free et brutes.

Charles Hayward arrive sur scène en jouant du mélodica (le soprano vert de Hohner, celui que nous avons tous chez nous). Il a l’air un peu ailleurs, un peu doux-dingue. Il s’assoit derrière ces fûts, il enclenche des nappes ambiantes, il frappe avec une rythmique qui tient à la fois de la précision d’une boite à rythme et de l’inventivité du jazz moderne. Il chante aussi, sa voix apporte un peu de folie, son accent anglais évoque tour à tour Johnny Lydon (sur « Flower Of Romance ») et Kevin Coyne. Il y a du post-punk et du spoken-world. Quand il se lance dans un motif répétitif, il n’est pas loin d’évoquer l’hypnose que l’on ressent à l’écoute de certains vieux titres techno. On avait pour coutume de blaguer sur les batteurs qui doivent partir quand ils se mettent à écrire des chansons, je me dis qu’il a bien fait de continuer de faire ça tout seul. Note pour plus tard : aller réécouter les deux premiers albums de This Heat et Massacre, sa collaboration avec Fred Frith et Bill Laswell.

( ♫) Charles Hayward (Bootleg)

Les boucles programmées par Ghédalia Tazartès évoquent un mélange entre les bruits de la rue, d’un bar, d’un lieu de passage où il y a beaucoup de monde et des longs drones. Sa voix mélange le chant oriental et le chant diphonique. Il se tient droit devant nous, son corps bouge au gré des inflexions vocales. La performance est là, dans toute sa spontanéité. Par moment Ghédalia Tazartès joue avec des clochettes, des harmonicas et des bols chantants tibétains. Les longs bourdonnements ainsi produits resteront encore longtemps gravés dans ma mémoire, et cela bien après cette soirée …

( ♫) Ghédalia Tazartès (Bootleg)

L’un des guitaristes de La Morte Young – celui qui porte une barbe – a une sorte de regard à la fois distant et vicieux. Je le vois en train enfiler trois tournevis sur sa demi-caisse pour la transformer en guitare préparée. L’autre guitariste martyrise sa Fender Mustang, sculpte des feedbacks, clique sur de nombreuses pédales d’effet – il me semble voir un Moogerfooger – pour en sortir un long sifflement distordu. Le batteur est d’une précision métronomique et un autre musicien joue du thérémine. Une personne hurle dans son micro, branché sur un ampli de basse. Il est beau de voir ainsi torturer des guitares pour les faire sonner comme du Glenn Branca psychédélique …

( ♫) La Morte Young (Bootleg)

La scène réarrangée par les musiciens de Faust donne l’impression un peu bordélique de voir une plage dans le pacifique, un vieux terrain vague avec des bidons d’essence qui rouillent et un salon avec des tricoteuses. Jean-Hervé Péron ranime un peu l’esprit libertaire des années 70 en attendant que les autres membres de Faust finissent de se préparer. Werner « Zappi » Diermaier se tient debout devant sa batterie, il martèle une rythmique martiale. Le reste du groupe suit tout en improvisant des sons psychédéliques sur les guitares et les basses. On joue du saxophone (totalement free), on tape sur les percussions, on module avec un ebow. Par moment il ne reste plus que des bruits de barre de métal tapée sur une bouteille de gaz, de perceuse sur une plaque, de clochette et d’instruments percussifs. Je ne sais pas jusqu’à quel point cette musique est improvisée, mais c’est sûrement l’une des plus belles et des plus libres que j’ai pu voir dernièrement …

Rendez-vous demain pour la soirée avec Bonnie ‘Prince’ Billy …

( ♫) Faust (Bootleg)

Textes, Bootlegs et mauvaises photos par Mathieu Gandin