« Tell Me What’s Inside Your Heart ! » Je vous imagine, là, derrière votre écran d’ordinateur, à relire assidument les bribes de ma santé mentale, à trouver tous ces titres sortis du tréfond des internets. Je vous vois bien vous gratter dubitativement le menton, à vous demander comment je fais pour écouter toutes cette musique un peu triste, un peu sophistiquée, un peu drone, un peu trop pop parfois, et que je suis peut être une espèce de petit bourgeois (et vous n’auriez pas tort !) Je me revois encore chez le disquaire – qui fait aussi vendeur de comics, le piège – assaillis par cette obscure pensée. Il fallait compenser ça et une envie s’est fait ressentir, une envie de musique puissamment rétrograde, mais dont l’urgence vous explose les neurones à vous faire hurler de plaisir le soir, les genoux à terre, un verre de whisky à la main, au milieu d’un bar ou d’une salle de concert, avec un Fender Jazzmaster pas trop loin. Mes doigts répétaient instinctivement le même geste pour parcourir le bac à vinyles et je me suis mis à regarder celui des 25 cm, format intermédiaire entre le 45t et le 33t qui est souvent propice à de précieuses découvertes. Mon regard c’est arrêté sur la pochette. J’ai vu le nom du groupe, Ty Segall Band, je me suis dit que cette musique là avait de quoi liquéfier nos oreilles de riffs explosifs.
« Tell Me What’s Inside Your Heart ! » De retour chez moi – j’étais seul, c’était un vendredi après-midi – j’ai posé le disque sur la platine, j’ai monté le son, j’ai senti alors la surcharge de fuzz se répandre dans toute la pièce, je pouvais presque sentir cette sauvagerie brut que l’on ne ressent que très rarement. Chaque titre accumule un nombre incalculable de riffs gavés de distorsion donnant à l’ensemble un caractère immédiat, ça part dans tous les sens avant de finir par une face entière contaminées par cette fuzz poisseuse, un torrent de lave qui s’abat sur nos oreilles pour les brûler de mille feux. Si Ty Segall Band cherche à retrouver coûte que coûte l’urgence gavée d’amphétamine que l’on pouvait entendre suer « Funhouse », alors Fuzzwar est SON LA Blues.
( ♫ ) Ty Segall Band – Diddy Wah Diddy
« Tell Me What’s Inside Your Heart ! » Avec le volume, j’ai eu l’impression d’être là, au fond du studio, celui qui se trouve dans la cave. On est avachi sur le canapé, à regarder les musiciens dopés jouer une fois de plus cette immense jam psychédélique, cette partition que l’on connaît si bien, ce besoin d’urgence, d’embrasser ce désir de fulgurance avec trois accords de guitare, de crier quelques « Fuck You » entre deux immenses riffs plein de drogues. Sur Diddy Wah Diddy, Ty Segall annonce à la fin du titre qu’il n’a aucune idée de ce qu’il est en train de se passer. Il y a cette perte de contrôle, ce trop plein de distorsion, comme quand on pousse le potard du sustain de la Big Muff à fond vers la droite !…
« Tell Me What’s Inside Your Heart ! » Le bras du tourne-disque tourne à l’infini sur le lock-groove, je reste allongé par terre avec les oreilles qui sifflent, épuisé. Les voisins ne sont pas venue se plaindre du bruit. Mais quand la musique s’arrête, la basse speedée de Mikal Cronin est toujours là pour relancer le groupe. Bon sang mais que ce disque est immense, je ne sais pas par quel biais Ty Segall a pu retrouver l’urgence et la spontanéité du proto-punk de la fin des années 60 sans que cela sonne trop rétro, trop propre, et peu importe, il faut écouter ce disque, comme il faut écouter aussi Thee Oh Sees, White Fence et Royal Baths, parce que tous ces groupes sont en train de crier plus librement que nous ne le ferons jamais …
( ♫ ) Ty Segall Band – Tell Me What’s Inside Your Heart
Par Mathieu