Un morceau de cendre venait de tomber sur la couette de son lit. Elle était en train de respirer la douce odeur de la cigarette qu’elle venait d’allumer, là tranquillement installée dans sa chambre. Elle venait de mettre un vinyle des Field Mice sur la platine, « Skywriting ». Ce n’était pas son disque, mais celui de son ex. Il l’avait laissé là, avec quelques affaires, après la dispute. Elle aimait bien le passer en dépit de l’histoire qui venait de se terminer, elle aimait aussi la pochette, avec ces formes géométriques et cette bichromie jouant sur le vert et le blanc. Elle se laissait au milieu des volutes que formait la fumée de sa cigarette quand quelqu’un frappa à sa porte. Elle demanda qui s’était. Son frère ouvrit la porte et entra. Il aimait bien rester de temps en temps avec elle, parfois pour parler, parfois pour ne rien dire. A ce moment, les regards étaient fuyants, et c’était juste cet instant d’intimité entre un frère et une sœur. Là ils écoutaient les synthétiseurs et la basse mélodique de Triangle. Elle se rappelait qu’elle avait chassé son ex à l’aide d’un couteau de cuisine. Il y avait une goutte de sang séché sur la lame ; son frère était en train de la regarder. Par terre il y avait le journal de la veille, l’armée américaine venait d’envahir l’Irak pour la première fois …
( ♫ ) The Field Mice – Triangle
Tu regardes sur la table et tu trouves alors le dernier disque de Sebadoh, « Harmacy ». Hier il y avait le live d’Ocean à la télévision, alors tu n’arrêtes pas d’écouter ce disque en boucle. Tu es dans ta chambre d’étudiant, il fait froid, le voisin passe un tube de dance déjà démodé, ça doit être Dr Alban. Alors tu mets Beauty Of The Ride avec le volume à fond, le plus fort que ton combo CD-Cassette-Radio puisse faire. Tu regardes autour de ton 18 mètres-carré, et puis tu vois le désordre, la poussière qui traine, les vêtements sales en vrac. Tu te dis qu’il faudra ranger deux-trois trucs comme ça, mais non tu t’en fous. Tu te dis aussi qu’il faudra trouver un boulot un jours, mais non ça aussi tu t’en fous. Alors tu prends le disc-man, et tu y mets le CD de Sebadoh et tu pars te promener dans les puces de St-Ouen en écoutant la guitare abrasive de Lou Barlow qui accompagne un texte un peu moins centré sur sa vie de perdant magnifique. En sortant de la résidence étudiante, tu vois un chat mort sur une marche de l’escalier. Dehors tu vois les titres de journeaux avec l’affaire de la fellation de Clinton. If I Honestly react nothing’s ever gonna work / all this tension back and forth / It’s just the beauty of the ride.
( ♫ ) Sebadoh – Beauty Of The Ride
Hier, j’ai eu du mal à me concentrer au boulot, j’étais sur trois trucs à la fois et la fatigue m’est tombée sur les épaules comme une chape de plomb, alors je me suis passé le dernier album de Pocahaunted, « Make It Real ». Ca doit être la basse de Diva Dompe alors j’ai eu l’impression de me sentir comme englouti par ces vibrations. Entre les interruptions par mail, par Twitter, par tout un tas d’autres choses, seule la basse de Pocahaunted me permettait d’arriver à faire quelque chose de cette journée d’épuisement. En ce moment J’aime beaucoup le dub psychédélique que l’on peut entendre sur Touch You, le morceau placé en ouverture. En rentrant chez moi, je me suis passé le vinyle de « Make It Real », et c’est comme si j‘avais été happé tout entier par cette basse qui devenait immédiatement immense, surpuissante, le genre qui vous entoure rien que par son volume.
( ♫ ) Pocahaunted – Touch You
Il se tenait face à la mer, le vent qui soufflait lui arrivait sur le visage. Ca lui rappelait ces anciens contacts avec le reste du monde, avant qu’un sentiment de liberté ne l’envahisse complètement. Il regagna sa maison en marchant tout doucement. A l’intérieur, la décoration était modeste, un canapé, une table, un lit dans la chambre, un bureau. Aujourd’hui, il se sentait de plus en plus vieux, et il écrivait, seul dans sa maison. Il posa sur son tourne-disque un vinyle de Pharoah Sanders, « Karma » et c’était parti pour les trente-deux minutes de The Creator Has A Master Plan. Ce qu’il se mit à écrire était très beau, une écriture simple, le sentiment d’universel derrière quelques mots. Il s’était allumé une cigarette. Un morceau de cendre venait de tomber sur son tapis. Il n’avait pas fait attention, il était obnubilé par les vocalises de Leon Thomas, le percussionniste de Pharoah Sanders. En ce moment il était en train d’écouter Colors …
( ♫ ) Pharoah Sanders & Leon Thomas – Colors
Par Mathieu
Sur la photo ce n’est pas Pharoah Sanders, c’est Leon Thomas le yoddler de feu !
Oui oui, je sais, c’était fait exprès, en référence au texte que j’ai écris sur Pharoah Sanders où le personnage est fasciné par les cris du percussionniste.
J’aime beaucoup tes textes “libres” narrant des situations très diverses, sorte de prétexte à parler de musique.
The Field Mice, Sebadoh, Pocahaunted et Pharoah Sanders : marrant le parallèle entre ces artistes différents. Est-ce un choix lié au hasard ou y vois-tu une correspondance entre ces morceaux ??? Si oui, la ou lesquelles ?????
A + +
Ca dépend … 🙂 C’est plus pour situer l’époque. Mais est-ce que tu y vois un lien ?
Non je ne vois pas de lien évident entre ces morceaux, c’est pour cela que je te posais la question.
“..C’est plus pour situer l’époque….” : maintenant je comprends, comme une atmosphère, un décor immédiatement identifiable !!!
J’ai adoré ces instants de vie accompagnés de chansons. Surtout le premier. Enfin, tu me connais, des que c’est tordu :p
Keep writing
Héhé, ça doit être le côté “indépendance féminine”, tu devrais aimé alors ce que j’avais écrit sur les Dum Dum Girls : http://randomsongs.org/2010/04/dum-dum-girls-i-will-be/