Le programme de protection des témoins est-il comparable à un confinement qui s’éternise pendant presque 18 mois ? Je n’ai bien évidemment pas la réponse, mais le groupe Suuns, qui a enregistré son dernier disque en pleine crise sanitaire, semble nous répondre à l’affirmative avec un titre comme Witness Protection. Paradoxalement, je me suis plongé dans cette musique hypnotique noyée de voix bizarre et de basse vertigineuse en ressortant de chez moi. Entre deux écoutes des expérimentations mélodiques de Ben Shemie, Liam O’Neil et Joseph Yarmush, j’entrevoie soudainement un retour à la normal.

Les huit morceaux de « The Witness » me donnent parfois l’impression d’avoir été composés comme une seule pièce orchestrale s’étalant sur 38 minutes. On traverse ces nappes de synthétiseur comme un après midi où l’on traine doucement dans le salon. Les lignes de basse sont un refuge confortable et les boites à rythmes évoquent autant les pulsations motorik du Krautrock que les vibrations numériques de la fin du 20eme siècle. Une sensation étrange qui vous rattrape avec le chant déformé de Bean Shemie, comme capturé dans une bulle dont il semblerait difficile de s’échapper. J’imagine que l’histoire derrière « The Witness » est aussi notre histoire du confinement et je me demande si elle resurgira à chaque fois que je ressortirais ce disque.

Suuns termine « The Witness » avec l’immense The Trilogy. Les voix et les notes de clavier se retrouvent transformées par le spectre d’une étrange modulation. Les basses captent notre attention et la rythmique se perd dans l’art de la répétition avant de trouver un nouveau départ quand le morceau aborde sa troisième minute. Une envolée salvatrice, Suuns quitte les errements quotidiens pour enfin sortir de chez soi. A la fin, il ne reste plus qu’un léger field-recordings, nous laissant seul face à un ultime choix, réécouter le disque une nouvelle fois ou prendre l’air.

( ♫) Suuns – The Trilogy

Mathieu