Avec le recul, on pourrait trouver la coïncidence évidente et inattendue. C’est en 2012 que DIIV sortait son premier album – « Oshin », un condensé d’indie-pop, basse omniprésente, guitare réverbérée, voix fantomatique et beaucoup de clin d’oeil à Felt – et c’est à cette époque que le label Numero Group commençait à rééditer certains groupes des années 90, avec cet indispensable coffret regroupant l’intégralité des disques de Codeine. Depuis, on n’y croyait pas trop, mais Numero Group fait partie de celles et ceux qui ont permis que le shoegaze et la dream pop soit l’une des musiques favorites de la jeunesse mélancolique des années 2020 (la génération Z si l’on veut parler technique). De son côté, DIIV a survécu tant bien que mal à ces 12 dernières années et leur dernier album, « Frog in Boiling Water », s’inscrit dans cette tendance autant comme une longue distorsion brumeuse qu’une capsule sonore intemporelle.
Arrestation pour possession de héroïne, relation compliquée avec Sky Ferreira, sorties racistes de leur premier bassiste qui a depuis été viré du groupe, DIIV avait tout pour disparaître. Un chaos qui en aurait détruit plus d’un mais qui ne transparait plus aujourd’hui chez Zachary Cole Smith dont la voix neurasthénique et les nappes de guitares électriques semblent soudainement hantées par une étrange sérénité. Une musique cotonneuse, saturée, où les riffs se noient dans le mix entre une rythmique hypnotique et une basse évasive. Des compositions qui illustrent parfaitement le spleen d’une époque incertaine où il n’y a parfois rien de mieux à faire que de contempler le ciel nuageux.
Et s’il ne fallait garder qu’un titre, pourquoi pas « Somber the Drums ». Ça démarre sur un long feedback, quelques accords de guitare soudainement clairs, et une ligne mélodique noyée sous une fuzz enfumée. Le chant de Zachary Cole Smith donne autant l’impression d’être là que de vouloir disparaître à tout jamais et c’est tant mieux. Et puis au bout de 2 minutes le morceau semble se retourner sur lui même comme un ruban de Möbius. Un dernier écho à la perfection désarmante – les synthétiseurs sont omniprésents sous ces spirales de notes abrasives – et notre salon se remplit lentement d’une déviation nébuleuse et intranquille.
Mathieu