Quand soudain quelqu’un vous attrape les épaules pour vous secouer dans tous les sens et vous hurler dans les oreilles avant de se lancer dans une sorte de rumba désespérée. Au moment où vous ne vous y attendez pas, cette musique prend les atours d’un prog-rock joué avec des guitares Heavy-Metal à la vitesse du punk, chantée par un type habillé avec un costard cravate. Il a une tache de sang sur sa chemise, il ressemble à Patrick Bateman, Elon Musk et Art le Clown sans qu’on puisse clairement distinguer qui est qui. Il raconte des histoires de vieilles gloires avant de sortir des propos masculinistes. Mais c’est pour se moquer. C’est ça et même plus encore que l’on entend sur Holy, Holy, le single éprouvant sorti sur le premier album solo de Geordie Greep, « The New Sound ».
Si vous aimez les monstres alors vous adorerez « The New Sound ». En pause de Black Midi, Geordie Greep peut laisser libre cours à ses idées, même les plus folles, les plus grotesques, quitte à dépasser allègrement les dernières frontières du bon goût. Geordie Greep est allé au Brésil pour enregistrer une bonne partie des plages sonores de son premier album : bossa-nova psychotique lorgnant sur un jazz roublard et désuet. Il compose avec plusieurs couches de guitares, s’inspirant à la fois de Frank Zappa et Lee Ranaldo. Il change trois ou quatre fois de styles musicaux dans le même titre tout en déblatérant des propos misogynes de façon satyrique. C’est probablement en embrassant le spectaculaire et la splendeur de la pop que l’on peut mieux dénoncer son aspect pourri, ce qui s’y joue réellement dans le fond. Un disque sur la vanité du spectacle qui essaie d’être un objet impur quitte à prendre le risque d’aboutir au résultat inverse en nous épuisant dans sa représentation de la vacuité.
L’apogée du truc se trouve peut être sur Motorbike. Le titre démarre sur un arpège de guitare et quelques paroles tristes marmonnées par un Geordie Greep à la tessitures plus grave qu’à l’accoutumée. Et puis le voilà qui convoque ses musiciens pour évoquer avec tonitruance l’esprit déglingué d’un conducteur de moto fier de polluer, qui jouirait de faire sonner son engin avant de rouler à toute berzingue sur l’autoroute du n’importe quoi. La parodie est poussée jusqu’au bout avec les potards qui montent rapidement à 11 dans une conclusion conviant à la fois dissonances bruitistes et harmonies débordantes. Une curieuse sortie de route qui nous plonge pendant quelques minutes dans une hybridation entre King Crimson et Shellac.
Mathieu