Il regardait encore une fois si sa guitare était bien réglée, puis il s’est mis à regarder ses mains, et il s’est alors rendu compte qu’elles tremblaient. Nous sommes au milieu de l’année 1991, et c’est juste le concert le plus important que son groupe s’apprête à jouer. Tout était allé très vite depuis les six derniers mois, un peu comme dans Drive That Fast, le titre d’un groupe, Kitchens Of Distinction, que le chanteur du groupe lui avait fait découvrir. « I Would never want to leave this country where roads are fast and knowledge easy ».
Au début, quand il a mis le disque sur sa platine, il n’a pas complètement accroché à cette musique qui semblait arriver avec un train de retard, alors que tout le monde semble courir après les distorsions de Nirvana. Pour son groupe, il préférait garder ce son si marqué, que l’on pouvait entendre dans la pop des années 80, celle que l’on peut lire dans les Inrockuptibles, il était un fan absolue de Johnny Marr et de son Bigmouth Strikes Again. Il retrouvait un peu de cela dans Drive That Fast de Kitchens Of Distinction avec cette basse et cette guitare qui semblaient se lancer dans une course effrénée, comme pour mieux suivre l’urgence fiévreuse du chanteur Patrick Fitzgerald. Il aurait bien aimé retrouver de cette urgence dans sa musique, mais à la place, c’était les événements qui s’étaient accélérés.
Il y a d’abord eu la rencontre, puis les premières répétitions, ensuite les démos enregistrées dans un studio parisien, pour finir par quelques concerts. Il paraît que ce soir il y a dans la salle quelques journalistes ainsi que des chroniqueurs de fanzines photocopiés et distribués en plusieurs exemplaires dans les rares disquaires parisiens encore en activité. « Take me away from this simple feelings I know, I’ll take that car and drive there faster ».
Il avait senti beaucoup de différences dans le groupe, entre lui et ses influences des Smiths, le bassiste qui se projetait en Peter Hook, mais sans avoir le moindre talent, ainsi que le chanteur qui commençait à virer en control-freak, il y avait comme des éléments qui lui faisait sentir que ça allait exploser un jour, lors d’une répétition en studio. Ce soir il n’arrivait pas trop à contenir le trac qui commençait à l’envahir. « I Would never want to do that to you / I Would never drive that fast ».
Et puis il y a eu le show, et puis il a joué trop vite sur le premier morceau, et puis après tout s’est arrangé, même si le bassiste l’a regardé avec un air de colère et d’aplomb un peu trop assuré. Et puis tout le monde s’est amusé. Et puis il était épuisé à la fin, alors il a préféré partir, mais le reste du groupe voulait plutôt faire la fête, boire pour évacuer la pression de la soirée. Mais là, il n’avait pas trop envie de discuter avec tout le monde.
En rentrant dans son appartement, il avait trouvé son colocataire qui passait sur la platine « You’re Living All Over Me » de Dinosaur Jr et « III » de Sebadoh. Il aurait aimé prendre le temps d’écouter ses deux disques, mais là tout ce qu’il voulait s’était se coucher là, tout de suite, maintenant. « I Have Never gone quite far enough but you can get off whenever you like ».
( ♫ ) Kitchens Of Distinction – Drive That Fast
Par Mathieu
Ceci est la seconde partie d’une histoire qui devrait s’étaler sur plusieurs chroniques de disques.
Excellent ! J’adore ce groupe. Le texte est très bien aussi.
Ah super madeleine musicale que tu m’offres là ! J’adore moi aussi ce groupe trop sous-estimé, et cette chanson est une puissante machine personnelle à remonter dans le temps, autant que le “Sensitive” de Field Mice ou le “When You Sleep” de My Bloody Valentine … 20 ans déjà ! 🙂
@Benjamin et Blake, bon, je les ai découvert que récemment, mais c’est vraiment un très bon groupe, injustement méconnus