Je me souviens de ma première écoute du cinquième album de Songs:Ohia, “Ghost Tropic“, c’était tard le soir, après une journée de travail épuisante. Quelques jours plus tôt un ami me tendit ce disque en me disant, par ces mots mystérieux : « tu vas voir ça va te plaire » … Ce soir de grosse fatigue, je me décidais d’y prêter une oreille alors que l’énervement battait son plein. Tout en me demandant si j’étais dans de bonnes conditions pour l’écouter, je m’assis sur mon futon et me laissait gagner par les premières notes de guitare pincées ainsi que la rythmique minimaliste de Lightning Risked It All.
Par je ne sais quel processus, je commençais à être absorbé par cette musique constituée de peu de mots et de notes, ce folk minimaliste et ambiant. J’étais bien assis, dehors c’était la nuit noire, et je commençais à me sentir seul lorsque Jason Molina commença un de ses morceaux les plus tristes, The Body Burned Away, qui démarre sur cette phrase plaintive « Death as it shook you », le genre de musique à vous faire couler toutes les larmes de votre corps. Au départ on a l’impression de n’entendre que la voix de Molina ainsi que quelques cadences étranges, avant que l’émotion ne monte encore d’un cran avec un piano blafard et deux guitares acoustiques qui jouent au bal des pendus. Je ne sais comment Molina a réussi à écrire un texte aussi noir, qui s’inscrit immédiatement dans la tradition du folk sombre que l’on peut entendre sur Waiting Around to Die de Townes Van Zandt ou encore Folson Prison Blues de Johnny Cash, mais j’ai l’impression qu’il sortait d’une période particulièrement neurasthénique. Néanmoins, ce titre est d’une grande beauté, d’une tristesse désespérante qui me laisse souvent sans mot. Alors oui, on a parfois dit que Jason Molina avait pour référence Bonnie « Prince » Billy, mais sur “Ghost Tropic” j’ai l’impression qu’il commence déjà à se détacher de cette importante influence.
Je continue mon écoute avec No Limit To The Word, et commence à m’allonger sur mon canapé ; les soucis du travail sont déjà loin maintenant. Après l’émotion de The Body Burned Away, Molina revient à quelque chose de plus minimaliste avec juste quelques accords de guitare et rien de plus. C’est d’une telle simplicité, d‘une telle émotion … Puis je bascule dans l’ambiant avec un premier intermède musical, où l’on entend des petits oiseaux et une pedal-steel lancinante. Je ne suis plus sur mon canapé, mais sous un arbre, à la campagne, il fait beau, il n’y a personne, c’est calme. Quand Molina reprend son blues avec The Ocean’s Nerves il n’y a plus de tristesse, plus d’affliction, juste des notes réconfortantes. Pour les trois derniers morceaux, Not Just A Ghost’s Heart, Ghost Tropic et Incantation, c’est quasiment un sentiment de plénitude qui s’empare de moi. Je me sens bien au milieu de tout ce calme, de ces quelques notes de piano minimaliste, appuyées par des nappes ambiantes. Après les dernières notes, il n’y a plus de bruit, ni de ressentiment, juste rien. Il ne restait que silence de la nuit, car je n’avais rien trouvé de mieux à écouter.
Depuis j’ai écouté d’autres disques de Jason Molina, ils sont aussi magnifiques, et rappellent Neil Young et son Crazy Horse. Mais aucun n’avait réussi à me transporter autant que le folk squelettique de “Ghost Tropic”.
Par Mathieu
PS : Pour écouter ce bijou sur Spotify cliquer ici.
Oh oui… quel disque…