Smashing Pumpkins – Mellon Collie And The Infinite Sadness

Je me souviens, j’ai adoré “Mellon Collie And The Infinite Sadness” de  informatively Smashing Pumpkins, acheté après avoir passé mon bac, ou pendant sa préparation, je ne me rappelle plus exactement. Je le trouve bien meilleur que « Siamese Dreams » qui sentait déjà trop la boursouflure ; il y a sur « Mellon Collie And The Infinite Sadness » tellement de pistes, d’essais, de déviations et des beaux morceaux que je peux encore l’écouter sans trop frémir, sans me sentir effrayé, voire dégouté, de ses guitares, de la voix de order neurontine overnight Billy Corgan, de son âge et de la nostalgie qu’il évoque.

J’ai toujours le numéro 54 des Inrockuptibles qui faisait sa couverture avec Smashing Pumpkins. Récemment je l’ai retrouvé, j’ai pris même du plaisir à le relire, et je suis tombé sur ce texte passionnant de Gilles Tordjmann. A l’époque j’étais sûrement passé à côté, mais aujourd’hui je vous le livre en intégralité :

« Dans un restaurant mortellement branché de Los Angeles, huit personnes autour d’une table et autant de téléphones portables. Entre les apostrophes pointues du buzz et du washi-washa, nouvelles déclinaisons de l’incessante et nécessaire rumeur sur laquelle un milieu se reconnaît comme le centre du monde, les sonneries crépitent sans discontinuer, et quand elles ne crépitent pas, c’est qu’on est en train de composer un numéro qui n’attend pas, de trouver un correspondant indispensable, de bétonner à tout-va l’emploi du temps des dix prochaines heures. Ce qui fait que personne ne se parle vraiment autour de la table. Le plus beau, quand même, dans ce ballet de liaisons immatérielles, c’est qu’on sent que les convives n’ont finalement qu’une seule envie, celle de s’appeler entre eux, tant paraît excitante la perspective de passer par un satellite pour demande à son vis-à-vis de passer le sel ou d’arrêter de monopoliser la bouteille de pif.

Sur Internet, Christian Proust, président du conseil général du Territoire de Belfort récemment élargi après avoir passé quelques semaines au violon dans l’affaire Gigastorage, livre l’intégralité des cinq cents pages qui composent le dossier d’instruction. Casse-tête juridique et nouveau débat ordinaire sur la violation du secret de l’instruction, sur la difficulté de légiférer dans le monde virtuel, sur les dérapages de la liberté, sur la folle circulation des données. Personne pour poser la seule question légèrement amusante et/ou intéressante de l’affaire : qui a envie de se taper cinq cents pages d’instruction du dossier Gigastorage ? Who Cares ?, comme le dit très synthétiquement la langue anglaise ? Dans le genre fun, n’importe quelle apparition télévisuelle de Chevénement, le bon ami de Christian Proust, est autrement plus poilante.

Sur les messageries télématiques, substituts modeste des téléphones portables, des bips se déclenchent à intervalles réguliers pour donner des informations aussi déterminantes que le cours du Dow-Jones, la météo du lendemain ou des révélations qui n’attendent pas, comme celle-ci authentiquement relevée sur Tam-Tam : « Bernard Tapie s’apprêterait à incarner le rôle de Che Guevara à l’écran. » Sinon, ces laisses virtuelles permettant d’être sonné à peu près n’importe où et n’importe quand donnent à ceux qui les portent comme des breloques l’indiscutable privilège de passer pour des personnes importantes tout en ayant une vie de chien.

Ce qui est épatant, avec le développement des moyens de communication, ce n’est pas qu’il excède largement le volume global des informations à échanger, mais bien qu’il met à jour le dérisoire achevé des messages existants. Tout se passe un peu comme si l’explosion quantitative des outils révélait toujours plus l’appauvrissement qualitatif du lien, comme une valeur ajoutée qui finirait par prendre toute la place de ce qui était censée produire. Si bien que la formidable insignifiance propagée et partagée atteint un degré d’abstraction tel que l’information en elle-même a perdu toute valeur d’usage. Du sens investi ne subsiste plus que des effets – comme on dit effets de manche -, des traces rémanentes de messages qui ne renvoient qu’à eux-mêmes : publicité du secret (de l’instruction ou de la maladie des chefs, c’est pareil), réseaux de réseaux, surveillance de l’état de veille (bipeurs gardes-chiourme), etc. Voir à ce sujet le succès des forums Internet consacrés à Internet.

Au même moment, Dominique Meens publie Eux et nous, la suite de sa formidable Ornithologie du promeneur (Allia) : « L’ornithologue explique l’oiseau à l’homme, j’explique l’homme à l’oiseau. » On peut y voir un genre de bréviaire anecdotique pour un temps où le pépiement sémantique, la roucoulade informationnelle, n’a plus besoin d’autre justification que l’enivrement de son propre chant en morceaux. » Gilles Tordjmann in Les Inrockuptibles Numéro 54.

Nous étions en avril 1996.

( ♫ ) Smashing Pumpkins – Bullet With Butterfly Wings

Par Mathieu

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