Nous sommes au milieu du salon. Le public est au même niveau que le groupe. Certaines personnes se sont assis sur un coussin. La scène est délimitée par un tapis et Eloïse Decazes se tient sur le bout de ses pieds. Ses yeux se perdent dans l’air, elle a un sourire de fou et ses mains effectuent un mouvement gracieux. Sing Sing nous donne l’impression d’être monté sur un ressort. Ses mains viennent heurter sa guitare avec véhémence, elles tiennent ce rythme syncopé, tendu et incendiaire. Mocke est assis sur le côté de la salle de concert improvisée. Il tient un bottleneck. Il le fait glisser sur le manche de sa Fender Jazzmaster, tissant ainsi un ensemble de lignes mélodiques qui se perdent avec le temps dans les derniers rhizomes de nos cerveaux. Arlt arrête sa musique comme ça et nous ne pouvions qu’être là.
Je regarde la couverture de leur nouveau disque, « Soleil Enculé ». Eloïse Decazes et Sing Sing sont devant une piscine à l’eau verdâtre. Ils mangent une glace. Il fait beau. Ils nous regardent sans que l’on sache trop comment. Ils ont l’air hanté. Les premiers mots de Frères & Soeur nous cueillent au passage et nous indiquent que le temps a fait son compte. Il faut passer à autres choses tout en continuant de creuser son chemin. Les mélodies gagnent en folie et se laissent doucement embarquées vers le chaos, L’Instant Même. Elles essaient de jouer avec nos nerfs et les voilà à vif avec cette samba dissonante et distordue. Les percussions de Clément Vercelleto – nouvellement venu après un très grand disque d’Orgue Agnès – accentuent l’effet de répétition et j’ai parfois l’impression d’entendre à nouveau Arlt comme si c’était la première fois.
« Soleil Enculé » se termine par un ultime paradoxe, nous calmer avec un rythme perdu, comme un vieux blues qui grince. Il nous noie sous un ensemble de sons chaotiques dont l’art brut nous hante jusque dans notre sommeil. Les paroles tournent en boucle, sans nous hypnotiser. Le chant s’accentue jusqu’au bouquet final où il ne reste plus que harangue et mantra. Entre-temps, les orgues geignent, les rythmes partent à l’aventure les guitares deviennent totalement free et puis tout s’arrête.
Mathieu