Nous sommes en 1996. Geoff Farina, Eamonn Vitt et Gavin McCarthy finissent d’enregistrer Caffeine or Me ?. Le morceau s’approche des 6 minutes fatidiques. Le trio ralentit le tempo pour s’aventurer vers une sorte de rock qui saboterait un temps ces influences punks par des constructions plus complexes. Ça s’approche du jazz. Les musiciens de Karate en ont techniquement les moyens. Ils partent dans cette direction pour conclure leur premier album. Il faut entendre ce titre sur leur dernier live, joué en 2005 à Leuven, en Belgique, et compilé sur « 595 ». Karate improvise avant de tirer un trait sur sa carrière. Après, il faudra attendre quinze ans et un label comme Numero Group pour rééditer une partie obscure de ce rock indépendant.
Chez Karate, les guitares ne restent jamais très longtemps saturées, elles nous jouent très rapidement leurs petites lignes mélodiques tristounettes. La basse est prognathe. Elle progresse lentement pour soutenir les rythmes éparpillés de la batterie. Geoff Farina crie dans son micro jusqu’à s’écorcher les cordes vocales. Il semble de mauvaise humeur, comme coincé entre les invectives du punk et les climats brumeux du post-rock. Dès Gasoline et son « Hey Sugar ! » interrogateur, Karate fait bouger les lignes de son rock asymétrique avant de laisser la place à une basse vibrante sur If You Can Hold Your Breath .
Avec sa fulgurance électrique, toujours au bord du sur-régime, et ses changements de rythmes intempestifs, Trophy pousse Karate vers ses derniers paradoxes. Une énigme pour ceux écouteront ce mélange de slowcore et de punk dont les compositions tentent quelques incursions vers le jazz. Geoff Farina questionne l’auditeur avant de passer à autre chose comme les mélodies pensives de What Is Sleep ? Un point d’orgue insaisissable et ce n’est probablement pas un hasard si je réécoute ce titre au petit matin.
Mathieu