Peut-on enregistrer une seconde fois un chef d’oeuvre ? Entre deux sessions en studio, dans des moments d’introspection devant le micro, la basse et la guitare posées dans un coin : Stephen Immerwahr et John Engle y ont sûrement pensé lorsqu’ils ont enfin réalisé « The White Birch ». Chris Brokaw était déjà parti avec Thalia Zedek. Trois ans plus tôt, Codeine traversait nos vies avec « Frigid Stars » avant de disparaître aussi vite qu’il s’était présenté à nous, dans un mouvement mélancolique où le punk hardcore ralenti et le chanté-parlé s’approchaient parfois de l’idioglossie comateuse. Les saturations filandreuses de Codeine se sont arrêtées après 2 albums et un EP au milieu des années 90. Il manquait juste un album, peut-être leur meilleur, enregistré en 1992. Les sessions studio étaient perdues, mais c’était sans compter sur la pugnacité du label Numero Group qui sort aujourd’hui « Dessau », le disque fantomatique de Codeine que certaines personnes attendaient depuis 30 ans.
La guitare mi-claire, mi-liquide de John Engle ainsi que la batterie, chargée dans les graves, lente et précieuse, de Chris Brokaw soutiennent jusqu’au bout le chant épuisé de Stephen Immerwahr. Il semble rejoindre, avec sa basse angoissée, les eaux sombres dans lesquels Brian McMahan s’était noyées. Malgré l’implication émotionnelle et la sensibilité au cœur de cette musique, le chanteur de Codeine sera finalement insatisfait des prises de sa voix, un bruit aigu comme des radiofréquences que lui seul semblait entendre lui fera lâcher l’affaire. Tout ceci peut paraitre à peine réel tant le disque sonne parfaitement, Codeine y excelle dans l’intensité, sans pour autant jouer la note de trop.
Sur Something New, comme sur le reste de « Dessau », Codeine orchestre avec le silence et les orages électriques jusqu’à dépasser l’apparente tristesse de ces mélodies. Entre deux pulsations de basse, le groupe exprime une sérénité glaçante mais déterminée, la batterie cogne sourdement et les accords de guitare dessinent inlassablement le paysage d’une étendue déserte. Certaines personnes pourraient voir l’expression d’une langueur triste dans cette espace désolé, où seule quelques herbes semblent avoir survécues à une catastrophe. D’autres y verront un paysage atmosphérique en reconstruction. Ne sachant que choisir, j’en déduis qu’il s’agit là d’un chef d’oeuvre.
Mathieu